Jean, l'aspirant traileur : Marathon des Gabizos 2017


- Tu dors ?
- Non.
- Tu dors ?
- Non.
- Et là ? Tu dors ?
- Non, toujours pas.
Le réveil sonna. 3h du matin. La nuit avait été courte. Très courte. Trop courte.

C'était le jour. Le grand jour. Celui du Marathon des Gabizos. L'objectif principal de Jean pour l'année. Il voulait décrocher sa lune. La Course des Refuges lui avait donné de nombreux espoirs. Les semaines qui ont suivi, beaucoup de doutes.

Jean récupéra Ma la Durite qui était aussi inscrite sur la course. Elle était prête, forte de ses 62km du Trail du Hautacam avalés il y a quelques mois.

A la lumière des frontales, la course débuta. Jean tenta d'aller doucement, laissant Ma disparaître au loin. Pourtant, le rythme de son cœur était déjà trop haut pour la faible vitesse.
- Je veux un lit, fit le cerveau embrumé, immédiatement suivi par tout le reste du corps. Un joli lit bien moelleux, bien douillet.
- Déjà ? répondit Jean, dépité.
A peine parti, la course sentait déjà le sapin.

La montée jusqu'au Col de Saucède se fit plutôt bien dans l'ensemble. Mais Jean sentait que les sensations n'étaient pas formidables. Il alternait marche et course au gré des pentes. Derrière lui, le soleil se levait sur les montagnes et les vallées, peignant les cieux d'un pinceau de lumière multicolore. Sublime tableau. Jean admirait l'art du maître.

Le parcours redescendait sur le Cirque du Litor. Ma n'était pas trop loin, Jean pouvait l'apercevoir. Il la vit sortir du sentier pour se soulager dans un buisson. Il en profita sournoisement pour la dépasser.

La suite fut une montée rude sur le Col de Tortes. Sensations toujours plus mauvaises.
- Ça va encore être long ? questionnèrent les jambes.
- On vient juste de partir, grommela Jean.
- Pfff… pfff… pfff… soufflait le cœur essoufflé.
Jean regardait plusieurs concurrents le dépasser allègrement alors qu'il menait un petit groupe.

Descente technique sur Gourette. Pas trop mal. Ça pourrait être pire. Ça allait être pire… Il courait plus ou moins. Jean reprit un peu espoir. Il arriva au ravitaillement où il prit largement son temps. Il discuta un peu avec son frère, venu le supporter. Venir en début de course, bonne intuition.
Comme à son habitude, Ma déboula, se ravitailla au plus vite et reprit la course, tête baissée, dans sa bulle. Jean décida qu'il était temps de repartir en baver.

Montée sur le Lac d'Anglas puis celui d'Uzious, celui du Lavedan et enfin le Col d'Uzious.
- A quoi ça sert de monter ? Il va falloir redescendre après ! s'énervèrent les jambes. C'est débile !
- C'est la recherche de ses limites, le dépassement de soi. C'est la beauté du sport, répondit Jean.
- Oui ben c'est moche, ton sport. On pourrait être tranquilles, à rien faire. On le fait très bien ça. On excelle même ! Du grand art ! Des Zidane de la glandouille ! Un passement de jambes allongé dans le canapé, ça c'est la classe ! Ça, c'est beau !

Début de l'enfer.

Dégustant un petit mojito en compagnie de Gab, Bébel eut un sourire en coin. Ils regardaient avec délectation les souffrances du petit coureur.
- Tu t'acharnes sur ce Jean, fit Bébel, je comprends pas. Il est nul en montée, pire en descente. Et sur le plat, il casse pas trois pattes à un canard. Il a pas besoin de toi pour en baver. Il le fait très bien tout seul.
- T'as lu pour quoi il me fait passer dans ses textes ? Comme si j'étais un gros con. Un enfant gâté. C'est quand même un comble ! Moi, l'ange Gab !
Bébel leva les yeux au ciel, se demandant comment le grand barbu pouvait donner des responsabilités à ce gars là.

Jean n'avançait pas. Il avait même l'impression de reculer. Il se faisait dépasser continuellement et ne dépassait jamais personne. Il arriva au Lac d'Anglas. Le lieu était magnifique. Il s'arrêta.
- Dis plutôt que c'est parce que tu n'en peux plus, firent les jambes.
- Si on peut lier l'utile à l'agréable, rétorqua Jean.
- Et si on redescendait maintenant que t'as vu ce joli lac ?
Sans un mot, le petit coureur reprit son ascension infernale. Les jambes grommelèrent dans leurs poils.

Petite descente sur le Lac d'Uzious. Difficile. Montée sur le Lac du Lavedan. Dure. Montée sur le Col d'Uzious. Affreuse.

- 30 minutes jusqu'au Lac du Tech et son ravitaillement, fit un bénévole posté au col.
- Il me prend pour Kilian Jornet ? pensa Jean avant de basculer sur la descente.
Le petit coureur tenta de courir. Il y parvenait avec beaucoup de difficultés, sur de courtes distances, au ralenti. Au début. Puis plus rien. Il mit un peu plus d'une heure.

Jean arriva au ravitaillement du Lac du Tech. Il s'étendit de tout son long sous la longue tente, abattu. Le moral dans les chaussettes.
- Mauvaise préparation, firent les jambes.
- Mauvaise alimentation, rétorqua l'estomac.
- Mauvaise hydratation, dit la gorge.
- Vous n'y êtes pas, répondit le cervelet rachitique, c'est la chaleur. Trop chaud !
- Non, non. Pas assez de force dans les jambes, fit le cerveau.
- N'importe quoi, c'est le dos qui se décompose, rétorquèrent les jambes.
- Quoi ? s'emporta le dos. C'est plutôt le cœur qui suit pas le rythme.
- Ah non ! s'exclama le cœur. C'est l'estomac qui n'a envie de rien.
- Vous rigolez ? reprit l'estomac. C'est plutôt un manque de mental !
- Taisez-vous !!!!! s'écria Jean, excédé.
Le petit coureur leva le drapeau blanc. La vérité était simple, sans fioritures. C'était trop dur pour lui, il n'avait pas le niveau. Il enleva son dossard, tête baissée, et le donna à un bénévole.
- C'est pas grave, dit le cœur qui était triste pour Jean. Ce n'est que du trail.
- Et puis tu as essayé, reprit le cerveau. Faut bien essayer pour savoir. Et apprendre.
- C'est pas comme si ça faisait 10 ans que tu courrais, rajouta le cervelet rachitique.
- On a encore plein d'autres rêves à vivre ! fit le dos.
- Plein de joie à prendre, continua l'estomac.
- On reviendra, reprit le cœur.
- T'es nul, t'es nul, c'est pas un drame, firent les jambes. Quoi ? Qu'est-ce qu'on a encore dit ? continuèrent-elles alors que tous les autres les regardaient de travers.

Ma la Durite termina la course. Il ne pouvait en être autrement.

Le soir, alors que le soleil n'était plus, Jean regarda l'astre de nuit. Il était encore beaucoup trop loin pour lui. Jean de la Lune n'était qu'un rêve.

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